LA CATHÉDRALE DE SAINT ANDRÉ... BORDEAUX
Pour Juan Vicente Meló
I
L'œil remonte le faisceau des colonnes
à chaque nouvelle hauteur
une nouvelle vue se déplie jusqu'à monter au sommet qui est une étoile d'ogives confluentes
là
où
le regard
glisse vers le bas
attiré
par la splendeur des joyaux
qui ressort dans l'obscurité
et après se succèdent une a
une
les ogives coagulées de couleurs
montrant
depuis la pénombre
des configurations kaléidoscopiques
l'œil n'a pas de repos
chaque ligne
l'entraîne vers une autre consteUation cohérente
éblouissante
II
je reviens le lendemain
la cathédrale est une autre
figée immobile elle s'élève pétrifiée
fermant par sa dureté
la traversée du regard
la pierre n'a pas changé mais elle ne raconte
pas la même chose
la parole qui prétend durer comme la pierre
perdra t-elle aussi son contenu ?
deviendra-t-elle aussi un mur gris
immobile
qui ferme à l'œil le passage ?
III
pour la deuxième fois je me rends à l'exposition
de peinture impressionniste
une immense toile de Manet me reçoit
au centre de la salle
elle porte sur moi les yeux tristes
le regard
fatigué
de la vieille prostituée
qui en a trop vu
je ne peux pas
retrouver la vision
qui à peine hier m'avait remplie de lumière d'air
bien que si je sois debout face au même tableau
de Berthe Morissot
IV
je retourne une fois de plus
à la recherche de la cathédrale
j'en retrouve une troisième
innocente
ensoleillée
ni extatique ni dure
pierre simple et naturelle baignée par le soleil
entourée par des jardins
sur les bancs desquels
enfants dames vieillards et couples
se reposent
bavardent
en attendant le bus
V
je vois j ai vu je verrai
je ne vois pas ce que j'ai vu hier je me souviens
qu'hier j'ai vu
mais maintenant
j'essaie
de voir à nouveau
c'est impossible je vois seulement
un autre détail seul
d'une autre façon avec d'autres yeux
VI
j'entre dans la cathédrale
maintenant
ses arcs dessinent un immense
tournesol en pierre
ses contours s'étendent
et remplissent le temps et l'espace
je suis prisonnière
au centre de ce tournoiement sans fin
qui tourbillonne aussi
pour emporter avec lui
chaque moment éternel
et je tourne en son centre
éblouie
par le tournoiement de mondes
successifs
VII
c'est une entreprise inutile que celle de la parole celle de la pierre
faite pour durer qui tourne autour de moi
et me porte en avant
tout s'achève et rien ne se répète mais nous
nous sommes condamnés
à continuer la recherche
une parole peut être survivra
pour que mon œil
renaisse dans ton regard et suive
et suive le tournesol tournant
vers le néant